C’est un phénomène étrange, souvent très court mais intense. Il touche environ 2 personnes sur 3, au moins une fois dans leur vie. Imaginez visiter l’appartement d’un ami pour la première fois et avoir l’étrange certitude que vous savez à quoi ressemble sa cuisine avant même d’y entrer ! C’est presque effrayant parfois.
Si vous avez déjà ressenti cette curieuse impression d’avoir vécu une situation auparavant (alors qu’en réalité vous ne l’avez PAS vécu), cela s’appelle une expérience de déjà-vu.
Mais d’où vient cette sensation ? Et pourquoi semble-t-elle si réelle ? C’est un phénomène qui intrigue autant les scientifiques que les passionnés de paranormal (dont moi. Et vous, j’imagine, puisque vous êtes ici.).
Aux origines du déjà-vu
Le terme « déjà-vu » est utilisé tel quel dans toutes les langues, pas seulement en français. Il a été popularisé en 1876 par Émile Boirac, un philosophe et psychologue français. Toutefois, le concept existait bien avant qu’on lui donne ce nom.
Au fil des siècles, les scientifiques ont proposé différentes interprétations. Sigmund Freud, par exemple, voyait dans le déjà-vu l’expression de désirs refoulés. Carl Jung y voyait une connexion avec l’inconscient collectif. Platon y trouvait une preuve des vies antérieures.
Et bien sûr, la culture populaire contemporaine, notamment avec des films comme Matrix, a nourri l’idée que le déjà-vu pourrait être un « bug » dans la réalité.
Quand on parle de déjà-vu, la terminologie a son importance.
En 1981, le neuropsychiatre sud-africain Vernon Neppe, aujourd’hui directeur de l’Institut Neuropsychiatrique du Pacifique à Seattle, a recensé 21 variantes du déjà-vu. Parmi celles-ci figuraient le « déjà vécu », ainsi que le « déjà visité », le « déjà rêvé », le « déjà entendu », le « déjà senti » et le « déjà lu ». C’est d’ailleurs Neppe qui a été le premier à proposer de regrouper les différents types sous l’appellation générale « d’expériences de déjà ».
Chaque forme pourrait bien avoir sa propre cause et explication. Les deux formes d’expériences les plus répandues sont le déjà visité et le déjà vécu.
Le déjà visité se produit lorsque vous vous trouvez dans un endroit où vous savez que vous n’avez jamais mis les pieds auparavant, mais que vous avez néanmoins l’impression de connaître. Ou en tout cas de trouver étrangement familier.
Le déjà vécu, quant à lui, correspond à une situation que vous avez l’impression de revivre – c’est l’expérience de « déjà vu » la plus courante. Ce sont ces phénomènes que l’ancien journaliste de Time Magazine, James Geary, a qualifiés en 1997 de « Been There, Done That » (« Déjà vu, déjà fait »).
Pour ce qui est des explications, certains cas de « déjà visité » pourraient être expliqués à travers la théorie de la réincarnation. Cependant, ces théories ne pourraient pas expliquer le « déjà vécu », car les vêtements portés par les gens ou les sujets de leurs conversations n’auraient pas existé dans une vie antérieure.
Que dit la science ?
Malgré son aura mystique, le déjà-vu est aujourd’hui pris au sérieux par la communauté scientifique. En 2003, le psychologue Alan Brown a publié une étude de référence dans le Psychological Bulletin, qui a ouvert la voie à des recherches plus approfondies.
Le problème, c’est que le déjà-vu reste difficile à étudier en laboratoire. Et ce pour une raison évidente : il survient de manière imprévisible et ne dure que quelques secondes.
Pour contourner ces obstacles, certains chercheurs ont développé des stratégies innovantes.
En 2006, une équipe britannique a utilisé l’hypnose pour provoquer des déjà-vus.
De son côté, Anne Cleary, spécialiste de la mémoire à l’université d’État du Colorado, a utilisé la réalité virtuelle. Dans ses expériences, des participants parcouraient des scènes créées dans le jeu The Sims, où la disposition de certains lieux était volontairement similaire à celle d’autres lieux. (Plus de détails sur les travaux de Cleary ici). Les résultats ont montré que des similarités spatiales pouvaient déclencher une sensation de familiarité intense.
Plusieurs théories sur le déjà-vu
Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer ce qui se passe dans le cerveau lors d’un déjà-vu :
1. Un problème de mémoire : Le déjà-vu pourrait survenir lorsqu’un souvenir similaire est activé inconsciemment. Par exemple, vous avez l’impression d’avoir déjà vu un appartement que vous n’avez jamais visité auparavant. Eh bien, en réalité cet appartement pourrait vous rappeler un autre lieu que vous avez visité, mais dont vous ne vous souvenez pas consciemment. Cette idée est soutenue par les recherches de Cleary, qui montrent que la familiarité peut être liée à des similarités spatiales.
2. Un décalage dans le traitement de l’information : Selon cette théorie, le cerveau traite une information sensorielle à 2 niveaux différents (2 voies parallèles) : une voie rapide, qui capte et enregistre les données de manière immédiate et globale, et une voie plus lente, qui analyse ces informations de manière plus approfondie.
(Exemple : Imaginez que vous voyez une silhouette dans l’obscurité. La voie rapide pourrait immédiatement déclencher une alerte de danger (réaction instinctive), tandis que la voie lente analyserait les détails pour conclure que ce n’est qu’un arbre. Les 2 se produisent approximativement en même temps.)
Si, pour une raison quelconque, il y a un décalage entre les 2 voies (la voie rapide traite une information légèrement avant la voie lente, et elle traite l’information comme étant un « souvenir »), cela pourrait créer une impression de répétition. Lorsque la voie lente « rattrape son retard », l’information semble familière, comme si elle avait déjà été vécue auparavant.Ce décalage pourrait être causé par une coupure dans les processus. Par exemple, imaginez que vous entrez dans une pièce et que votre cerveau enregistre instantanément quelques détails visuels, comme la disposition des meubles ou les couleurs des murs.
Mais si, au même moment, votre attention est brièvement détournée – peut-être par une pensée ou une distraction – la perception consciente de ces détails pourrait être retardée. Lorsque vous revenez à la scène, elle vous semble étrangement familière (comme un souvenir), alors que votre cerveau vient tout juste de l’assimiler.
Ce « bug » dans la synchronisation des deux voies peut être à l’origine du phénomène de déjà-vu.
3. Une activité neuronale inhabituelle : Le déjà-vu pourrait être lié à des mini-crises épileptiques dans le cerveau. Ce lien est renforcé par le fait que les personnes atteintes d’épilepsie rapportent fréquemment des déjà-vus. Mais cela peut très bien se produire aussi chez des personnes qui ne sont pas épileptiques.
***
Le déjà-vu reste en partie un mystère, mais les recherches en cours pourraient nous révéler bientôt d’autres informations sur le fonctionnement de la mémoire et du cerveau. Anne Cleary et son équipe, mais aussi d’autres laboratoires dans le monde poursuivent leurs études et nous en saurons plus bientôt, peut-être.
En attendant, c’est intéressant pour chacun de nous de l’observer lorsqu’il se produit : quelles sensations l’accompagnent ? Vous donne-t-il des sensations agréables, ou au contraires désagréables ?
Et si vous l’expérimentez plusieurs fois, pensez éventuellement à garder un journal de ces expériences de déjà-vu, pour y noter les circonstances dans lesquelles il s’est produits, et pouvoir les comparer ultérieurement.